BOCIO
LE CENTRE - Restitution de résidence d’artistesLobozounkpa - Bénin 2017
Curation: ericbottero
links: Le petit journal des galeries Vallois VI
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Éric Bottero : Entre fiction et réalité
Lorsque, en juin 2017, le photographe français Éric Bottero pénètre dans son atelier de résidence au Centre Art et Culture de Lobozounkpa, au Bénin, il découvre une phrase peinte sur le sol par un artiste qui l’avait précédé : « Je ne suis pas ici par hasard ». Et Éric Bottero, l’était-il ? Certes non. Un précédent existait entre lui et l’Afrique. À l’occasion de convoyages de voitures entre Paris et Bamako en 1992, une passion est née pour ce continent qui a sensiblement influé sur son travail, qui mêle sculpture et photographie. Ce furent d’abord de petits masques d’inspiration africaine réalisés avec des matériaux de récupération, qu’il a ensuite photographiés en grand format, puis un travail sur les enfants-soldats que l’artiste béninois et directeur du Centre, Dominique Zinkpè et Robert Vallois, galeriste parisien et mécène du Centre , ont apprécié au point de lui proposer une résidence d’un mois au Bénin.
Couvent Contemporain
Le Centre est une plateforme artistique et culturelle pluridisciplinaire qui, depuis sa création en 2014, accueille des artistes en résidence dans des ateliers et des logements mis à leur disposition. Dans son enceinte également : un Petit Musée de la Récade, qui conserve des sculptures ancestrales béninoises ; un espace d’exposition d’art contemporain ; une scène accueillant des spectacles vivants et une bibliothèque.
Éric Bottero arrive à Cotonou le 15 juin. Coordinatrice des relations entre Paris et le Bénin pour les galeries Vallois, dont la programmation des expositions 2017 est précisément « Paris – Cotonou – Paris », je le rejoins le 1er juillet, en pleine saison des pluies. Je trouve un artiste affairé, composant des installations et des sculptures qui mêlent pharmacopée vaudou et pharmacopée occidentale sur le métissage desquelles il invite le spectateur à réfléchir. Immédiatement intégré dans cet environnement — familier malgré la distance —, et immergé dans la culture vaudou, c’est au marché de Cotonou qu’Éric Bottero a découvert les étals de guérisseurs et une profusion de petits objets, des « consommables » comme il les nomme, destinés à la pratique du culte et dont il fait l’acquisition pour réaliser ses sculptures et installations. Il les conçoit en interaction avec la culture occidentale, dont il dénonce le consumérisme et le développement vertigineux de la technologie en l’opposant à des matériaux et petits objets de culte divers.
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Parti sans idées préconçues sur la manière dont il réaliserait ses sculptures, il avait en revanche quelques pistes concernant ce qu’il souhaitait faire en photographie. Dans ses bagages, il avait apporté des masques blancs destinés à l’origine à être peints par des enfants. Dans la même lignée que la composition de ses sculptures, il les a enduits avec de l’argile, de la colle à bois et de la peinture avant de les rehausser et les accessoiriser avec ces petits objets rituels trouvés sur le marché, peignes vaudou, cauris, fibres végétales et d’habiller ses modèles avec de simples étoffes blanches et monochromes. À partir de ces masques, le photographe produit deux séries : des portraits en pied de Béninois masqués et immobiles, et d’autres où ils sont en mouvement, projetés dans l’univers quotidien de Cotonou et ses alentours, le bruit de la ville et la luxuriance de la campagne.
Mawu-Lisa
Alors que je les retrouve sur le site, Dominique nous propose d’assister à une cérémonie vaudou dans un temple afin qu’Éric puisse prendre quelques clichés. Nous nous retrouvons au cœur d’un village difficile d’accès, attendant le début de la cérémonie, à faire des libations. Dans un premier temps, nous rejoignent deux « apprentis » initiés, masqués et costumés qui doivent garder le silence et ne peuvent répondre à nos questions que par des hochements de tête. Impressionnés, nous le sommes d’autant que la typologie des masques portés s’apparente sensiblement à ceux rapportés par Éric sans qu’il le sache. Ici encore, il n’était pas là par hasard. Puis, nous sommes introduits dans les secrets du temple animiste — un antre sans lumière dans laquelle nous apercevons au sol des fétiches recouverts d’un agglomérat de matières sacrificielles. Précédant l’exercice du culte, l’assistant du chef de cérémonie introduit dans la bouche de chaque sculpture une cigarette, qu’il allume. Puis le chef de cérémonie pose, couchés sous une bassine, trois petits cônes colorés, et demande à Éric de lancer des cauris afin de savoir s’il est autorisé à prendre des photos. Éric s’exécute. Le féticheur relève la bassine où l’on découvre seul le cône blanc relevé, sans qu’aucune intervention manuelle n’ait eu lieu. L’esprit invoqué a donné son accord.
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Un autre événement incompréhensible pour nous Occidentaux se produit ensuite. Pensant que la cérémonie extérieure, avec des musiciens, des danses, des chants, des invocations et un sacrifice de poulet dont le sang fut projeté sur des sculptures, était finie, Dominique Zinkpè nous invite à rejoindre la voiture. Or celle-ci ne démarre pas. Une panne inexplicable. Nous en ressortons pour nous apercevoir que la cérémonie se poursuit. Après y avoir assisté jusqu’à son terme, nous retournons à la voiture : le contact se fait, comme par enchantement. Selon Dominique, le féticheur a mentalement immobilisé la voiture le temps que la cérémonie se termine. Le résultat de cette action est pour nous d’autant plus énigmatique que personne n’a approché le véhicule.
Fétiche WIFI
C’est dans ce contexte magico-religieux qu’Éric Bottero produit ses deux séries photographiques avec des Béninois masqués. Si les modèles insolites pris en pied sont en référence directe à l’une des activités de l’artiste, qui était portraitiste et photographe de mode, ceux inscrits dans un contexte urbain et rural font davantage référence à l’étrange, conjuguant fiction et réalité. Fiction, par le rôle qu’il a emprunté au féticheur en composant ses masques avec des matériaux cultuels. Réalité vécue par Éric Bottero, imprégné au quotidien de la culture vaudou, ses objets de rites, son exercice, sa pharmacopée — sur laquelle il a interagit dans ses sculptures. Fiction, en plongeant ses modèles dans un univers qui n’est pas cérémoniel, mais banal, rendu tellement ordinaire que la population alentour semble les ignorer. Réalité, en prenant les clichés et en s’appuyant sur la véracité de l’épreuve photographique, devenue document, témoignage.
Kit de Dévotion
C’est donc d’une empathie avec la culture béninoise dont il est question dans le travail photographique d’Éric Bottero. Ne dérogeant pas à la règle de sculpter avant de photographier, de conceptualiser avant de créer, comme dans ses précédentes séries, il donne à voir avec ses images une réactivité au monde visible en même temps qu’à celle des manifestations de l’invisible et de l’exercice d’une spiritualité, dont nous fûmes les témoins. Invoquant l’étrange dans la banalité, l’insolite dans l’ordinaire, ses images ne sont pas le fruit du hasard, mais celui d’un intérêt profond pour les cultures extra-occidentales dans le contexte desquelles l’occasion lui fut donnée de s’en inspirer.
Valentine Plisnier
D41
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